Généalogie des rapports entre art contemporain et politique





La politique, digne héritière du pouvoir religieux a parodié ce dernier dans sa mainmise sur l’art en l’utilisant tantôt comme outils de propagande, tantôt comme pression économique mais très souvent juste pour renouveler son bail électoral par l’apport d’une esthétique rassembleuse et séductrice. 
C’est après la seconde guerre mondiale que la France a vu peu à peu arriver un autre débarquement après celui de Normandie : la peinture abstraite, qui, elle aussi à sa façon, est venue libérer, mais cette fois-ci d’une éventuelle menace communiste soviétique et ragaillardir une culture européenne fragilisée par le récent conflit mondial.
L’art contemporain a pu bénéficier d’une impulsion avec la guerre psychologique menée par la bipolarisation du monde. L’école américaine artistique de l’après-guerre a séduit le monde en imposant son expressionnisme abstrait sous couvert de fondations privées, à la solde de l’intelligence fédérale. Il faut se rappeler également que la plupart des formations de jazz se produisant en France étaient financées par le gouvernement américain. Un art contemporain, outil de propagande de la politique libérale de marché; une propagande de réalisme artistique face à la peinture abstraite et de la performance sous les yeux de tierces entités culturelles invisibles esthétiquement et dont font partie les cultures noires sur l’échiquier mondial.
C’est dans ce climat politique de promotion culturelle que le monde a assisté à la distribution des valeurs marchandes de l’art contemporain. Le dessein de l’Amérique semblait clair :
- Valoriser son image de marque en Europe vis à vis de l’URSS et gagner le bras de fer culturel qui opposait 
- Créer un art « sans mémoire » pour s’émanciper du legs culturel européen, en appuyant une école abstraite et un art de la performance sans véritable centre ou école de référence et chaque artiste pouvait se constituer comme école. 
- Annihiler toute autre forme d’opposition au capitalisme au niveau local en étouffant l’art   engagé américain qui nourrissait l’utopie d’un art libre indépendant.
Pour se faire, les fondations culturelles, couvertures de la politique américaine anti-communiste ont opéré en Europe, pour la promotion de la nouvelle école américaine, libérale, abstraite et libre.
L’école nouvelle esthétique américaine  voulait se définir différemment aux autres. Elle avait compris que partir d’un centre impliquerait nourrir des valeurs hautement morales ; donc pas de centre, pas de périphéries, une liberté de pensée conditionnée en partie par le traumatisme de la guerre atomique vécue dans le Pacifique.
Les bases d’un néo-libéralisme artistique sont ainsi nées, les œuvres verront une valeur matérielle supplanter peu à  peu leur une valeur d’usage.

Quelques réponses de l’art dans le monde  Politique noir

Les politiques culturelles africaines, affaiblies par des budgets alloués à la culture de plus en plus restreints, ont été incapables de venir en aide à une création riche et forte mais muselée par une pauvreté matérielle. Et c’est sous le pilotage discret des Etablissements Publics d’Intérêt industriel et commercial tels que l’Institut français, l’Institut Goethe, le British Council et l’Institut Cervantès, que l’Afrique verra désormais ses créations artistiques taylorisées avec : la danse à Madagascar, le cinéma à Ouagadougou, l’art plastique à Dakar et le théâtre à Abidjan. 
La coopération avec ces diplomaties européennes de soutien et d’influence a montré ses limites dans la construction de l’Afrique culturelle de demain.  Mais ce n’est pas un hasard. La promotion de l’art en Afrique a toujours été une initiative citoyenne et non une priorité des élites. Ce sera à la société civile encore une fois, aux associations, aux démarches locales isolées qu’il faudra rassembler et connecter, de décloisonner l’Afrique.
La Société Africaine de Culture fondée en 1950 à Venise devait couver et laisser éclore un art contemporain noir, certes teinté d’existentialisme, courant de pensée dominant à l’époque. Elle n’a pas su rappeler aux cultures noires après la décolonisation, l’introspection culturelle nécessaire pour étudier les conditions d’une modernité artistique spécifique à africains et aux peuples de la Caraïbe. L’art fut cependant omniprésent dans la résistance. 
C’est ainsi que le Sénégal post-colonial, par la voix de ses artistes musiciens, a parfois rappelé au pouvoir politique le passé douloureux entre l’Afrique sub-saharienne et les populations arabo-berbères du nord du continent. Quel rôle ces musiques ont joués dans la décision de Senghor et d’Alioune Diop de ne pas inclure le nord de l’Afrique dans la construction de l’identité noire africaine à l’époque?
Les zoulous et les xhosas ont résisté par les rituels de la danse à la colonisation britannique et à l’oppression des Boers. Les peuples du nord du Mozambique ont pu résister culturellement à travers les danses de masques Mapiko à la colonisation et critiquer par la suite la guerre civile qui a ravagé le Mozambique indépendant. La peinture congolaise, de son coté, a dépeint les conditions de vie sociale et critiqué le pouvoir politique par des illustrations de scènes de vie quotidienne en utilisant souvent la rue comme galerie. L’urbanité en est telle que changer de quartier équivaut à changer de musée.
Ailleurs, le Japon, sous l’occupation américaine, avait montré que l’on pouvait dissimuler les enseignements des arts martiaux interdits par l’occupant impérialisme à Okinawa dans des rituels de  danses.
La mise en valeur de l’ethnologie et de l’anthropologie occidentales depuis la colonisation a conduit la muséographie à concevoir les activités artistiques non-occidentales comme étant figées dans le temps, incompatibles avec la modernité. Or l’art africain et celui de la Caraïbe par exemple nécessitent une étude des objets lorsqu’ils sont mis en situation, pour mieux percevoir leur valeur d’usage. L’art contemporain « critique » cette approche du passé par des productions visuelles qui mettent en scène les rituels du passé : l’art d’un art, une oeuvre opportuniste. Une autre réserve est que cette analyse de l’art africain par l’artiste contemporain occidental reste toujours non contextuelle. Elle est une reconstitution intemporelle des rituels africains et de la Caraïbe sans tenir compte de l’implication et de l’interférence de ses œuvres  dans le présent. 
Dans les combats conscients de demain, et pour éviter tout mimétisme, l’un des défis de  l’artiste noir(e) contemporain sera de démontrer que dans le domaine intellectuel et artistique, l’Afrique  n’a  jamais été un désert. 
Les fondations d’entreprise présentes de nos jours partout en Afrique font un mécénat gagnant qui vise à agrandir leur cercle d’influence. Les instituts culturels occidentaux appliquent de leur coté un langage de domination justifié par les subventions accordées aux artistes le plus souvent «compatibles» à leur politique de coopération.

... Par Kemi Bassène

Retrouvez la suite de l'article dans le n°2 de la revue Afrikadaa

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