Le cinéma africain tisse sa toile


Alors que certains le disent moribond, le cinéma africain vient se rappeler à notre bon souvenir. Le film Un homme qui crie de Mahamat Saleh Haroun a été primé lors du dernier festival de Cannes. Ce film aux allures de tragédie grecque se situe pendant la guerre civile tchadienne. Sa dimension universelle peut toucher aussi bien le spectateur occidental que l’Africain. Il relève un peu du «miracle» puisque son réalisateur est l’un des seuls auteurs de ce pays qui ne possède plus de cinéma.
Le succès du film a provoqué une prise de conscience au Tchad. Les autorités locales ont décidé de projeter Un homme qui crie à N’Djamena, la capitale. Et de rouvrir pour ce faire la grande salle de cinéma de la ville. Ironie de l’histoire, Mahamat Saleh Haroun s’était fait connaître en réalisant Bye-Bye Africa, un film sur la disparition du cinéma dans son pays d’origine.
Au-delà de ce «cinéma haut de gamme», c’est toute la production audiovisuelle africaine qui connaît une renaissance. Longtemps, le continent noir a essentiellement été un simple «déversoir» pour toutes les productions venues du reste du monde. 

Mais depuis l’Afrique s’est réveillée. Elle a commencé à développer de façon spectaculaire ses propres programmes.

A lui seul, le Nigeria produit 2.000 films par an. Il a donné naissance àl’industrie de Nollywood qui taille des croupières aux productions occidentales, dans toute l’Afrique, notamment dans les pays anglophones. La qualité des productions est souvent piètre. Le budget d’un tournage peut être inférieur à 20.000 euros. Mais le public n’en a cure. Le secret de Nollywood: raconter des histoires africaines avec des personnages africains. Selon The East African, hebdomadaire de référence en Afrique orientale:
«Nollywood a sa recette du film à succès: intrigue enlevée et prévisible, avec un début et une fin tendus. On y trouve également de la sorcellerie. La chrétienté se heurte à la tradition, et la culture africaine au mode de vie européen. Ce sont pour la plupart des productions qui exploitent à fond des thèmes à sensation (sexe, criminalité, drogue et familles éclatées).»
De cette immense production émergent peu à peu des cinéastes de qualité comme le réalisateur Newton Aduaka, dont Ezra, un film sur les enfants soldats a été projeté à Cannes.
Avec un temps de retard, l’Afrique francophone s’est également lancée dans l’aventure. Le Burkina Faso exporte ses feuilletons dans toute l’Afrique francophone. Des cinéastes de renom, tels que Idrissa Ouédraogo participent aussi à l’aventure des sitcoms. Ouédraogo a notamment réalisé la série Kadi Jolie, qui a connu un grand succès dans toute l’Afrique de l’ouest francophone. A tel point qu’à Abidjan des pommades Kadi Jolies ont vu le jour.

 Ces productions sont très éloignées des canons occidentaux. «Bulles rafraîchissantes, les feuilletons burkinabés échappent presque toujours au schéma des séries préfabriquées anglo-saxonnes, moins par indépendance d’esprit que par heureuse méconnaissance de ces stéréotypes», souligne Le Journal du Jeudi, un hebdomadaire burkinabé. L’Afrique crée ses propres héros populaires. Ainsi au Sénégal, le succès de Goorgoorlou [Le débrouillard en wolof] a été immense. D’abord personnage d’une bande dessinée locale, Goorgoorlou s’est imposé sur les écrans sénégalais. D’autant plus facilement qu’il s’exprimait en wolof, la langue la plus utilisée à Dakar.
Les séries ivoiriennes connaissent elles aussi un grand succès. A l’image de Dr Boris. Une sorte de Docteur House à la mode ivoirienne. Plus porté sur les femmes et moins cynique que son homologue américain, docteur Boris amuse beaucoup dans l’Afrique francophone.


Outre qu’elle crée des emplois, cette nouvelle industrie à aussi permis de changer l’image que les Africains ont de leur culture et de leur continent. The East african n’hésite pas à prêter une influence considérable à cette nouvelle production:
«Nollywood en contribuant à forger l’image identitaire noire est devenu le vecteur culturel le plus puissant depuis l’arrivée du christianisme. L’homme noir incarne l’action. Le héros à la vie pleine se retrouve au centre d’un monde entièrement noir. A l’évidence, les millions de personnes qui regardent les films nollywoodiens ressentent quelque chose qu’Hollywood ne leur offre pas. L’effet à terme de ce phénomène va au-delà de ce que les panafricanistes d’il y a trente ans auraient osé rêver.»
Cet hebdomadaire de Nairobi ajoute:
«En un rien de temps, ces films ont délimité le monde africain. Il y a encore peu de temps, les Africains étaient avides de produits occidentaux qui leur servaient à se mettre en avant. Le cinéma occidental a joué un rôle majeur à cet égard en montrant des personnages au teint clair et aux cheveux longs, il poussait les Africains à se blanchir la peau et à se défriser.»
Sans prêter un tel pouvoir à la pellicule, on peut noter que pour changer la façon dont elle est perçue dans le monde, l’Afrique doit produire ses propres images. Comme le note Mahamat Saleh Haroun, le réalisateur de L’homme qui crie:
«Le cinéma a besoin d’Afrique.»
Et l’Afrique a sans doute besoin de cinéma.

LU SUR SLATE AFRIQUE




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